Déterminée

 

J’avance, à pas feutrés.

Je profite du silence

De mes pensées.

 

J’avance,

Malgré mes peurs.

 

J’avance,

Malgré mes erreurs.

 

J’avance,

Malgré la douleur.

 

Chaque fois

Que surviennent mes freins

J’y reviens,

Du soir au matin.

 

Sans un regard en coin

J’avance.

Sans un regard en arrière

Je m’élance.

 

Dans mon élan

La route se distend.

Ses contours m’apparaissent,

Flous et indistincts.

 

Mais je sais que rien

Ne pourra m’empêcher

De progresser sur mon chemin.

 

Je ne me laisserai pas freiner.

 

Je suis déterminée à me relever

A chaque fois.

A chaque fois

Que se percutent

Les blessures en moi.

 

Je suis déterminée à avancer

A chaque fois

Que s’abattent

Les vagues de l’anxiété.

 

Le sable tourbillonne,

La terre se fendille,

Mais le cœur

Jamais ne s’arrête.

 

J’étends mes ailes

Et brave la tempête.

 

Je suis déterminée.

 

Emportée par les vagues

Je me laisse noyer

Pour mieux remonter.

 

Je suis déterminée.

Et rien ne pourra m’arrêter.

 

 

 

 

Giants

L’eau de la vie

Coule entre nos mains

Construit sereinement demain

Et façonne notre magie.

 

Sagesse antique,

Rituels initiatiques,

Grands sont les liens

Qui nous unissent.

 

Y pensons-nous parfois ?

Nous terrons-nous à ce point

Au fond de notre petit moi ?

 

Celui qui craint,

Celui qui se plaint,

Et raisonne en quatrains.

 

Un, deux, trois

Jugé !

Quatre, cinq, six

Rangé !

 

Sept, huit, neuf

Classé !

Dix, onze, douze

Figé !

 

De moi, je sais ce qui va

Des autres, ce qui ne va pas.

Ce n’est pas moi, pas moi

Je ne suis responsable de rien

Mais j’n’en pense pas moins !

 

Viens, viens, viens

Tendons-nous la main.

Silence des actes,

Paix de nos pensées.

 

Viens, viens, viens

Fragile instant

Moment serein

 

Où tout s’éteint…

 

… Puis ressurgit,

Différemment.

 

Il est temps à présent

De nous unir pour demain.

Mon Cœur Vivant

 

Je suis mon cœur

Dans les abîmes du temps.

Je sais qu’il me guide

Vers ce qui m’attend.

 

Son mécanisme s’enclenche

Malgré le vent cinglant,

Les tempêtes innombrables

Et les échecs cuisants.

 

C’est la force incroyable

Du Cœur Vivant.

 

Palpitant là-dedans

L’impulsion de vie.

Sous les auspices du temps

J’écoute son chant

Si bienfaisant.

 

Je sais que tu t’es craquelé,

Je sais que tu t’es même brisé,

Mais tu fonctionnes toujours autant.

 

Oh mon Cœur Vivant !

Comme je suis fière

De te sentir battre

Si fidèlement.

 

Rappelle-moi constamment

De ne pas reproduire les mêmes erreurs

A tout bout de champ.

Apprends-moi à présent

A voir d’un œil nouveau

Tout ce qui m’entoure maintenant.

 

Sans toi rien ne fonctionne,

Sans toi rien ne fait sens.

 

Oh, Cœur Vivant.

 

Si brillant,

Si épatant.

Sous ton élan

Je retrouve tout mon allant.

 

Apprends-moi encore

Ce que j’ai laissé de si important.

Montre-moi encore

Tout ce que tu ressens.

 

Oh, mon Cœur Vivant.

Tu es toujours si plein d’allant

Si retentissant !

 

Je me laisse aller à ton chant

Tranquillement, sereinement

Tandis que s’égrène le temps

Du changement.

 

Chaque battement

Me renvoie à l’ici et maintenant.

Chante, chante et façonne

Ce qui t’attire réellement.

Danse, danse et résonne

L’écho du temps.

 

Je te fais confiance

Ô Cœur Vivant.

Tu n’as nulle défaillance

Malgré les ouragans.

 

Vis pour toujours et à jamais,

Ô si cher Cœur Vivant !

 

 

 

 

Infiniment

 

Je danse sur la plaine des possibles

Les portes se forment et s’illuminent

Un espace s’ouvre sous mon élan.

 

Tout est vierge, tout est blanc ;

Tout est grand, tout s’étend :

C’est la Valse du Temps.

 

Je peux tout reprendre du début

Chercher pourquoi je suis venue.

 

Au fond de moi, je sais.

Au fond de moi, je m’en souviens.

 

 

C’est comme les bulles

Des profondeurs de l’océan

Qui remontent à la surface,

Radieuse et lumineuse

Sous le soleil levant.

 

 

Ma vie est une histoire

Qui s’écrit à chaque instant.

Je ne dois pas oublier mes victoires

Pour aller de l’avant.

 

 

Tout s’efface…

Et recommence continuellement.

 

Elle est là.

 

Elle est là,

Ma force de vie.

 

Soleil luminescent,

Cœur battant,

Âme de lumière

Et esprit ardent.

 

Tout est là

Et s’anime constamment.

 

Ailes d’argent

Qui caressent le vent

Lumière incandescente

Qui brille au firmament.

 

Je suis plus forte

Que les ombres qui crient.

 

Il suffit

De se laisser porter.

De danser et de glisser

Dans le vent ascendant.

 

Mais il faut aussi du temps

Pour vaincre les chaînes,

Redevenir tout blanc.

 

J’avance sans un regard en arrière

Contre le vent hurlant

Des ombres qui vocifèrent.

 

Je lève ma rapière

Et les fends de ma lumière.

 

Mon énergie se déploie

Infiniment.

 

 

 

 

Ombres et Lumière

Force et fragilité liées

Fleur de soleil

Sans cesse renouvelée.

 

Peurs absurdes

Qu’il faut affronter

D’un regard clair et appuyé.

Les rêves palpitent

Et poussent sur l’anxiété.

 

Je suis ombres et lumière.

 

Quand vient l’adversité,

C’est dans la difficulté

Que se forge notre caractère.

Je suis ombres et lumière.

 

Partage inné

Mais trop souvent éphémère

Battu sous les vents

De nos vieilles rengaines.

 

Pourquoi, nous qui affrontons le vent

Sommes-nous terrifiés à ce point

Par notre propre lumière ?

 

Dans les ondes du vent

Je me glisse tout doucement

Dans un vœu fervent

De le suivre honnêtement.

 

Ce vent de la vie

Parfois gronde sous la tête

Se mue en tempête,

Me laissant démuni.

 

Dans les bourrasques de l’être,

Je hurle ma peur

De finir broyé

Consumé de rancœur.

 

Parce que je suis

Ombres et Lumière.

 

—————- Deuxième version —————

J’avance sans peur

Dans l’existence.

Tout me paraît enchanteur

Et excitant.

Jamais je ne me lasserais

De vivre !

 

Mais je suis ombres et lumière.

 

Vient le temps

Où je comprends

Toutes les idées

Qui s’échangent autour de moi

En toute liberté.

 

Je les attrape, papillons de couleurs

Et les façonne à ma manière.

 

Tout à coup mon monde change

Vacille, chancelle et bascule

Face à tous ces concepts

Que j’engloutis goulûment,

Sans me demander

Ce qui m’aiderait vraiment.

 

Et je suis ombres et lumière.

 

Je pense faire au mieux

Je repousse ce qui me dérange

Sans m’attarder outre mesure

Sur les conséquences.

 

Je suis le mouvement,

Incapable d’être seul,

Et je m’éloigne, tout doucement,

De la vérité de mon cœur.

 

L’amour devient faiblesse,

Les larmes proscrites,

La colère à bannir,

La joie à canaliser,

L’angoisse bien présente.

 

Je suis ombres et lumière.

 

Je dissous mon identité

Dans le statut qu’on veut bien me donner.

Dans les actions que j’entreprends,

Dans mes idéaux, mes qualités, mes défauts.

Dans l’ombre des vrais sentiments.

 

Je ne sais plus vraiment

Vivre dans le présent

En harmonie avec la Vie.

Qui je suis ?

Je l’ai oublié

Depuis longtemps.

 

Car je suis

Ombres et lumière

L’ombre de la lumière ?

Ou encore la lumière de l’ombre ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je navigue

(poème à format de chanson.)

 

Dans l’immensité

Des choix possibles,

Je navigue.

 

Dans la diversité

Des rencontres fortuites,

Je navigue.

 

Sur cette Terre où je naquis,

Et où je vis,

Je navigue.

 

Je navigue encore, encore

Encore, encore

Chercheur de trésors, trésors,

Trésors, trésors

Je brise ma digue, ma digue

Ma digue, ma digue

Qui doucement se vide,

S’évide.

 

Je navigue encore,

Vers ces rivages que j’ignore,

Je navigue encore,

Vers ma Terre d’Or.

 

Les flots surgissent, me portent

Et m’emportent, m’emportent

Vers ces rivages que j’ignore,

Que j’ignore.

 

Je navigue, encore.

 

 

Le personnage et sa légende

Ateliers d’écriture 

Consigne : Imaginer un héros de fiction : premier vrai travail de l’atelier autour de la figure du héros, rédiger un texte dans lequel un personnage de fiction devient le héros de son histoire, au travers d’un événement fondateur, qui le fait basculer de simple figurant à premier rôle.

Elle observa le miroir en silence.

Elle n’aimait pas les miroirs. Cette glace immobile renvoyait son reflet, implacable.

Surtout, elle n’aimait pas se voir. Se voir, ça lui faisait peur. Peur car elle ignorait ce qu’elle trouverait en se regardant.

Il fallait du courage pour se regarder… De la transparence.

Et transparent, le miroir l’était. On ne se cache pas, devant un miroir.

Les derniers rayons du soleil embrasèrent le cadre en bois laqué. Instinctivement, elle recula.

En face d’elle, une jeune femme aux yeux bleus comme la mer du Pacifique, la peau noire et des habits simples : une statue d’ébène sculptée dans les moindres détails.

Elle croisa son propre regard.

Tout à coup, des taches blanches sur son visage. Ses mains frémirent. Ses poils s’allongèrent pour la couvrir de fourrure blanche rayée de noir. Un grondement primaire, animal, monta du tréfonds de sa gorge. Elle retomba sur ses pattes. Le miroir la toisait de toute sa hauteur, mais la glace ne pouvait plus reproduire l’intégralité de son corps.

L’horizontal avait fait plier le vertical. L’essentiel avait supplanté l’apparence.

Le tigre rugit. Le miroir demeura imperturbable. Les yeux couleur mer du Pacifique s’observèrent.

Les yeux sont le reflet de l’âme ; nul ne peut faire mentir son propre regard. Le tigre renifla et se détourna.

C’était l’heure de la chasse. Gare à celui qui se mettrait en travers de son chemin…

La Voie du Cœur

Fièrement engagé sur sa voie, le train crachotait sa fumée noire jusqu’au ciel.

Ce n’était pas une locomotive ordinaire : elle brûlait des esprits de ses passagers et s’en nourrissait pour pouvoir avancer.

Des années auparavant, le projet avait séduit bon nombre de personnes. Une forte baisse de l’utilisation d’énergies fossiles, pour une économie durable et respectueuse de l’environnement.

Mais aujourd’hui…

Des dizaines de petits visages fermés s’impatientaient de leur arrivée au prochain quai. Ils suivaient tous d’un regard morne les lignes du paysage, distendues par la vitesse, défiler sous leurs yeux.

C’était bien, ces locomotives, quand on les avaient vendues. A l’époque, elles avaient suscité un tel engouement que les lignes circulaient à flot, dessinant les contours et reliefs de chaque pays doté de cette technologie.

Puis les années avaient passé.

Les esprits ne contenaient plus leur impatience et leur morosité. Les locomotives avaient perdu en performance. Elles allaient vite, ça oui ; aussi nerveuses que des cocotte-minutes, elles fonçaient sur les rails, véritables flèches dans leur domaine, et engendraient des kyrielles de soucis techniques. Dégradation des voies de chemin de fer. Accidents répétés. Usure précoce des cheminées.

Tout cela était devenu monnaie courante. Toute vie un tant soit peu sensée prenait le risque de passer la clef sous la porte.

Les passagers de la Ligne Express soupirèrent à l’unisson. Le roulis de la locomotive leur donnait mal à la tête, mal au ventre, mal aux oreilles.

Pourtant, à sa lancée, cette machine avait bien plus de confort…

La locomotive fit une embardée spectaculaire. Les compartiments se soulevèrent, pris de hauts-le-coeur. Mains, jambes, et pieds des passagers se renversèrent les uns sur les autres ; certaines têtes s’entre-choquèrent. Les esprits, secoués comme des boules à neige, n’en menaient pas large.

« Qu’est-ce que c’est que ce brol ? hurla un des passagers, fourbu, dont l’estomac venait de monter à la gorge dans une galipette d’enfant capricieux. Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe dans cette foutue machine ?

– Un instant ! réagit un contrôleur en passant en coup de vent. Notre équipe technique est en train d’examiner le problème.

– C’est ce que vous nous dites à chaque fois, maugréa l’homme, sa valise entre ses mollets serrés.

– La compagnie des Locomotives Ecologiques vous prie de l’excuser pour ce dés… »

Coupé net dans sa phrase, il pressait son front contre une vitre, au même titre que tous les passagers.

Là, dehors, juste sous leurs yeux, une femme dansait sur les rails.

Seule.

Qui est cette femme ? Pourquoi fait-elle une chose pareille ? Elle est folle, ma parole !

La pensée collective fusa comme une aiguille empoisonnée. Les passagers collèrent leurs mains aux vitres de la locomotive, comme s’ils voulaient saisir cette femme sans y parvenir.

La Dame des Rails s’en fichait.

Ils haussèrent les sourcils à l’unisson, dans une chorégraphie presque parfaite. A défaut de ne pouvoir la saisir par les mains, ils aiguisèrent leur regard comme une lance acérée destinée à la toucher en plein coeur.

Elle leur adressa un signe de la main.

Éberlués, ils s’entre-regardèrent.

Intriguée, elle s’approcha du train et frappa à une des portes.

Qui est-elle ? Qu’est-ce qu’elle nous veut, celle-là ?

Ce fut le contrôleur qui, reprenant ses esprits de justesse, s’empressa de lui ouvrir avec un geste guindé.

« Mademoiselle, grinça-t-il, dents serrées. Vous n’êtes pas autorisée à circuler seule sur les rails. Ça ira pour cette fois, mais je vous fais descendre au prochain quai. Estimez-vous heureuse que je vous évite un procès. Vous en serez quitte pour un signalement. »

Nullement perturbée par la menace, la jeune femme sourit tranquillement.

« Bonjour, monsieur.

– Oui, oui, c’est ça, bonjour. Filez vite, que je ne vous y reprenne plus.

– Si vous me le permettez, répartit-elle tranquillement, ne vous embêtez pas trop avec les formalités. Je ne serai pas longue. »

Soufflé par sa réaction, le contrôleur arrondit les yeux.

« Je vous demande pardon ? bredouilla-t-il, pris au dépourvu. Bien sûr que vous ne serez pas longue, renifla-t-il d’un air agacé. Le prochain quai est à vingt kilomètres d’ici, et ce n’est pas en dansant, mademoiselle, que vous y parviendrez ! »

Elle sourit et s’épousseta les manches. La fumée de la locomotive encrassait sa carrosserie.

« Je ne vais pas au prochain quai, dit-elle enfin.

– Pardon ? répéta le contrôleur, agressif.

– Je ne descends pas au prochain quai, reprit-elle sans hésitation, parce que la voie du coeur m’emmènera ailleurs. »

Face à ce nouveau casse-tête de sa profession, le contrôleur se gratta le crâne, franchement ennuyé.

« Bon, ça suffit. Je ne suis pas ici pour faire du mysticisme. Allez vous asseoir et tâchez de faire profil bas avant que je ne m’énerve pour de bon.

– Mon cher, très cher monsieur, soupira la femme. Vous croyez que la voie du coeur est toute tracée. » elle soutint son regard avec sérénité. « Mais vous vous trompez. »

Elle sourit d’un air presque triste en embrassant le couloir du regard.

« Elle n’est pas si nette. Elle court dans les limbes, dans les profondeurs de votre être… Elle n’est pas simple, non. Elle fait des lacets, quelques retours même, elle serpente tellement que vous vous demandez si vous parviendrez à votre prochaine destination sans encombres. Ça lui arrive de vous emmener dans de drôles d’endroits, vous savez ? » elle ferma brièvement les paupières. « Mais la voie du coeur est toujours sûre. »

Perdu, le contrôleur battait des cils à s’en envoler. Au fond de lui-même, quelque chose dans ces paroles résonnait. Un tambour en fond d’orchestre, trop sourd pour être entendu de manière nette.

« Vous m’en direz tant, dit-il au bout d’un silence plat.

– Je ne serai pas longue, répéta la femme, plus lumineuse à mesure qu’il s’assombrissait.  Une fois que j’aurais appris le nécessaire ici, je descendrai. Et la voie du cœur m’emmènera ailleurs.

– Vous … » suffoqué, il avait l’impression qu’elle l’avait complètement vidé de son souffle. « Alors vous, vous ne manquez vraiment pas d’air.

– Je suis née pour en tirer le meilleur, monsieur.

– Alors, vous, vous… »  agacé par son manque de répartie, il soupira fort par la bouche comme un enfant boudeur. « Vous êtes une opportuniste, mademoiselle, et ce n’est pas un compliment.

– Je suis une opportuniste et je le prends comme je le souhaite, releva-t-elle avec légèreté. Voyez-vous, je ne suis pas intéressée par votre destination. Elle n’est pas la mienne. Sauf votre respect, monsieur, votre locomotive fume très noir. Les passagers pourraient profiter de ce problème technique pour prendre l’air, vous ne croyez pas ? Votre belle machine fonctionnerait tellement mieux ainsi. »

Franchement interloqué, le contrôleur pinça le nez, retroussa les lèvres, puis balaya l’air d’un bras :

« Bah ! Vous n’allez pas m’apprendre mon métier non plus ?! » excédé, il renifla par les narines. « Vous savez quoi, faites-leur un cours de flamenco si ça vous chante. Moi, j’ai déjà donné. Bonne journée, mademoiselle. »

Et tandis qu’il s’enfonçait dans l’obscurité des couloirs mal éclairés, la jeune femme déversait la lumière fraîche du dehors par la porte ouverte, amusée.

 

 

 

 

 

 

L’Appel du Tigre

Le miroir renvoyait son reflet flou à travers la glace fissurée. C’était un vieux miroir sur pied ; il semblait se fondre dans le mur à force d’y être appuyé.

La jeune femme croisa son propre regard, sombre et argenté comme une demi-lune. D’innombrables tatouages ceignaient son front, ses bras et le haut de sa poitrine : des symboles Maori, tout en rondeurs et lames de vagues. Au milieu de son front, une spirale noire d’encre, semblable à un siphon, tournoyait sur sa peau blanche.

Elle se détourna. La pièce dans laquelle elle se trouvait, nue et froide comme la neige, ne comportait qu’une seule fenêtre.

Ouverte.

Mais à quoi servait cette pièce ? Entièrement vide, elle n’avait plus connu de présence humaine depuis fort longtemps. A dire vrai, personne ne s’y rendait jamais. Aucune touche personnelle ne venait l’habiter ; c’était comme une loge dépourvue de tout mobilier. Les murs étaient austères, décrépis, d’un beige récalcitrant, et le plancher grinçait tellement qu’il aurait eu sa place à bord d’un vieux bateau.

Après tout, les convives étaient dehors.

Dehors ; les conversations allaient bon train. Elle entendait fuser des rires, de temps à autres. Des rires vides de vie. Des rires qui ne donnaient pas envie de rire, mais de fuir en courant, sans jamais se retourner.

Tout cela sonnait faux. Tellement faux avec l’authenticité de la pièce dans laquelle elle se trouvait.

La pièce ; elle avait eu le privilège d’y assister, avant de venir ici. Elle avait aidé à placer les décors pour les comédiens qui jouaient sur scène. Dans les ombres des coulisses, elle attendait l’entracte pour surgir sur le plateau, sous la lumière aveuglante des projecteurs du devant de scène. Elle n’avait pas prêté attention aux spectateurs. Pas cette fois. Son tour viendrait, plus tard. Ce jour-là, il fallait se concentrer uniquement sur les changements de décors. Ni plus, ni moins.

Le bruit des conversations se poursuivait comme un vieux phonographe enrayé. Peut-être l’attendaient-ils. Peut-être pas.

Elle y apportait un intérêt éloigné ; elle écoutait. Elle ne souhaitait pas réagir ou prendre parti. Elle avait appris depuis longtemps à quel point elle gaspillait son énergie à le faire.

Elle écoutait parce qu’elle apprenait bien plus de choses qu’en participant aux conversations. Des choses qui en sous-entendaient d’autres, comme des milliers de couches superposées les unes aux autres ; rancoeur, espoirs, attentes, illusions.

Elle chérissait le silence, parce que le silence lui enseignait bien des choses que les paroles recouvraient avec soin.

C’était pourquoi un désir profond l’habitait. Enraciné en elle, il poussait douloureusement.

La vérité, c’est qu’elle voulait s’en aller.

Elle voulait être partout, sauf là.

Elle n’avait plus aucune raison de rester.

Elle se dirigea vers la fenêtre. Quelque chose en elle montait, lentement, irrémédiablement.

C’est alors qu’elle sentit un grondement primaire, puissant, remonter du tréfonds de son être. Toutes les choses qu’elle avait refoulées trouvaient leur place ; elle renversa la tête en arrière et entrouvrit la bouche pour hurler.

Aucun son ne sortit. Son être criait de toute sa force. Mais son corps était une prison de silence.

Alors, elle se propulsa en avant.

Les tatouages se transformèrent en rayures. Ses mains grossirent, s’épaissirent, se recouvrirent de fourrure blanche ; toute sa morphologie changea pour adopter celle d’un majestueux tigre blanc.

Elle bondit hors du cadre de la fenêtre ouverte.

Elle foula la terre de ses pattes puissantes, libératrices et vivantes.

Elle laissa derrière elle hypocrisie, bulles en suspens et conflits de silence. Comme elle aurait dû le faire depuis longtemps.

Elle était libre.

Fleur de Vie

 

 

Elle transpirait, les poumons enflammés et la peau brûlante.

Sa poitrine était comprimée dans un étau, ses jambes aussi lourdes que des ancres.

La jeune femme s’arrêta de courir. Elle se sentait à bout de souffle.

Ses angoisses la tenaillaient comme une paire de ciseaux.

Elle ne savait pas quoi faire pour respirer.

Elle regarda devant elle ; rien qu’elle pût distinguer.

Elle regarda derrière elle ; le chemin d’où elle était venue…

Refermé. 

Elle observa alors avec attention l’endroit où elle se trouvait. Fougères, orties, ronces, plantes grimpantes, tout semblait exploser dans une formidable diversité de formes et de couleurs. Les racines débordaient du sol comme du lait oublié dans une casserole. Les feuilles des buissons couvraient jalousement des bourgeons tout en rondeurs, d’une douceur voluptueuse.

Oubliant sa détresse, elle s’agenouilla devant un plant à l’écart, intriguée.

Elle ressentait presque une forme de mélancolie en le considérant ainsi. Elle ne savait pas très bien d’où lui venait cette impression, mais elle la savait vraie.

Elle l’observa très attentivement et souleva la masse de feuilles jaunies. Là, croulantes sous le poids de l’agonie, des fleurs fanées se tenaient aussi voûtées que des vieilles femmes. Leurs robes défraîchies semblaient dépourvues d’énergie vitale. 

Pourtant, quelque chose l’appelait.

Un effleurement subtil, profond, qui l’appelait au cœur d’elle-même.

Et elle sut.

Quelque chose battait dans les fleurs.

Quelque chose parcourait tout le plant, de la cime aux racines ; une onde magnétique à peine perceptible.

L’émotion la saisit brutalement. La compassion enserra sa poitrine pour l’ouvrir entièrement, comme une fenêtre déversant ses larmes de vie jusque dans ses paupières.

Son cœur devint éponge, dégorgeant craintes, ténèbres et égarements.

Alors, elle ouvrit les mains.

Ses paumes s’envolèrent vers les fleurs comme autant de caresses.

Ses doigts effleurèrent les pétales avec une infinie délicatesse.

Elle referma les paupières.

Sa souffle se ralentit. Il emmena avec lui peur, détresse et anxiété, comme autant d’oiseaux qui prenaient leur envol dans un ciel d’harmonie et de liberté.

Sa respiration se mit à battre à l’énergie de cette toute petite vie.

Des racines d’affection pure poussèrent dans son cœur. Elles sortirent de sa poitrine, enveloppèrent les pétales fanées dans une lumière douce, chaude et apaisante.

 

Tout recommença.

 

Elle ouvrit ses mains…

 

 

Face à elle, de magnifiques roses.